Le Régime à prestations cibles au Québec, un concept nouveau?

Par Dany DesgagnésGuillaume Turcotte, et Maxime Maltais

Perspectives – Mai 2021

Toutes les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position officielle d’une agence, d’une organisation, d’un promoteur de régime ou d’une entreprise.


Avec l’adoption du projet de Loi 68 (« PL-68 ») le 11 décembre 2020, le système de retraite québécois a été bonifié afin d’offrir la possibilité de mettre en place un régime de retraite à prestations cibles (« RRPC ») pour toutes les organisations. Tout comme les régimes de retraite par financement salarial déjà présents au Québec depuis 2007, les RRPC sont une alternative intéressante aux régimes d’accumulation de
capital1 lorsque la mise en place d’un régime à prestations déterminées traditionnel n’est plus une option envisageable ou viable.

Le RRPC du Québec en bref

Selon ce type de régime, la cotisation de l’employeur est fixée par le règlement du régime et les prestations sont établies en fonction d’une formule cible, ce qui permet de procurer des prestations de retraite plus stables et prévisibles par rapport à un régime d’accumulation de capital. L’aspect nouveau avec l’arrivée des RRPC au Québec, et le plus grand défi par ailleurs, est la possibilité d’ajuster les prestations, incluant celles en cours de paiement, lorsque la situation financière est inférieure ou supérieure au niveau requis. Les prestations de retraite sont donc relativement prévisibles, mais pourraient varier au fil du temps, à la hausse ou à la baisse, en fonction de la situation financière du régime. Les risques et les bénéfices sont partagés collectivement par les participants du régime plutôt qu’individuellement comme ils le sont pour les régimes d’accumulation de capital.

En matière de financement, le PL-68 prévoit des règles qui s’apparentent à celles applicables pour les régimes à prestations déterminées du secteur privé, mais certaines règles sont spécifiques aux RRPC2. Les ajustements nécessaires pour rétablir l’équilibre au niveau du financement du régime pourront prendre différentes formes, comme une augmentation de la cotisation des participants actifs, une augmentation de la cotisation de l’employeur si le règlement du régime le prévoit ou une réduction des prestations acquises et futures, incluant les prestations payables aux retraités. Certaines contraintes sont également applicables aux prestations, comme l’interdiction de prévoir une formule de rente basée sur les salaires en fin de carrière, des avantages de retraite anticipée selon les années de service ou de service reconnu ou encore une indexation après la retraite autrement qu’en fonction d’un taux fixe prévu au régime.

Bien que dorénavant plus accessible au Québec, ce type de régime est présent ailleurs au Canada depuis plusieurs décennies : nous parlons ici des régimes de retraite interentreprises (RDRI) à prestations déterminées. Comme nous le mentionnons dans la prochaine section, le RDRI est fondamentalement très similaire au RRPC du Québec.

Le parallèle avec les RDRI à prestations déterminées

Le RDRI à prestations déterminées est un régime auquel participent plusieurs employeurs à la faveur des employés syndiqués d’un même secteur d’activité. Il est généralement établi aux termes d’une négociation collective, et parfois d’autres types d’ententes collectives. Ces régimes existent partout au Canada, mais les règles diffèrent selon les provinces. De façon générale, ces régimes prévoient les dispositions et présentent les caractéristiques suivantes :

  • La cotisation patronale est négociée et fixe pour la durée de la convention collective.
  • Le montant des prestations est basé sur une formule cible, n’est pas fixe et peut être ajusté à la hausse ou à la baisse.
  • La formule cible est déterminée en fonction des objectifs de financement et permet d’obtenir des prestations de retraite plus stables et prévisibles qu’un régime d’accumulation de capital.
  • Un comité de fiduciaires (ou un comité de retraite) est responsable de la saine administration du régime.
  • Les participants sont impliqués au niveau de la gouvernance, au moins la moitié des membres du comité de fiduciaires représentant les participants.
  • Le comité de fiduciaires est responsable d’appliquer les mesures de redressement et de rétablissement de la situation financière du régime.
  • Les réductions, le cas échéant, peuvent affecter les droits futurs et acquis, ainsi que les prestations en cours de paiement.
  • Considérant le caractère variable des prestations de retraite, la gestion des risques occupe une place importante dans les activités de gouvernance du comité de fiduciaires. Avec l’aide d’experts-conseils, le comité de fiduciaires doit établir le juste niveau des marges de conservatisme à inclure dans le financement du régime.

Au fil des années, plusieurs RDRI à prestations déterminées ont développé des mesures de contrôle et ont eu à appliquer des mesures de redressement et de rétablissement. Selon les caractéristiques intrinsèques de ces régimes, plusieurs ont également été en mesure d’apporter des améliorations aux prestations. Ils ont dû s’adapter à l’évolution du marché et manœuvrer avec divers enjeux, notamment en matière de communication avec les participants pour assurer une pleine transparence quant à la possibilité d’une variation éventuelle des prestations.

Les mesures de contrôle

En vertu de la législation du Québec sur les RRPC, les différentes mesures de redressement qui seront mises en œuvre lorsque les cotisations seront insuffisantes (par exemple, l’augmentation des cotisations des participants actifs ou la réduction des prestations), incluant également les mesures de rétablissement lorsque la situation financière le permettra, devront être établies dès le départ selon un cadre relativement rigide.

En effet, les modalités et conditions d’application de ces mesures ne devraient conférer aucune discrétion au comité de retraite quant au choix des mesures applicables, à leur ordre d’application et au mode de répartition entre les groupes de participants actifs et non actifs. Le même principe s’applique aussi lors du partage d’un excédent d’actif. Il s’agit ici d’une différence importante par rapport aux règles applicables aux RDRI à prestations déterminées.

Ainsi, le travail de conception d’un RRPC sera une étape primordiale puisqu’un changement futur aux mesures de contrôle ne sera permis qu’à la suite d’un processus de consultation auprès des participants. En d’autres mots, les modalités et conditions relatives à ces mesures n’offriront pas toute la flexibilité nécessaire pour négocier une situation particulière et le régime devra développer un cadre approprié pour un large éventail de circonstances et de scénarios possibles.

Les parties impliquées dans la mise en place de ces régimes devront donc, avec l’aide d’experts-conseils, déployer beaucoup d’efforts en amont afin d’optimiser les chances d’atteindre leurs objectifs à long terme.

Dans nos prochains articles, nous explorerons quelques éléments qui, selon notre expérience avec les régimes de type prestations cibles, sont importants pour la conception et la gestion d’un RRPC dans le contexte du PL-68.

1 Régime à cotisation déterminée (« CD »), Régime de retraite simplifié (« RRS ») ou autres régimes d’épargne collectifs (REÉR, CÉLI ou Régime de participation différée aux bénéfices)
2 Plus d’information quant au contenu technique du PL-68, dans sa version initiale publiée le 7 octobre 2020 à l’Assemblée nationale du Québec, est disponible dans notre Communiqué spécial Eckler.


Ce numéro de Perspectives a été préparé à des fins d’information générale uniquement et ne constitue pas un conseil professionnel. Si vous avez besoin de conseils professionnels sur la base du contenu de cet avis, veuillez contacter un consultant Eckler.